Mode : les marques cachent leur éthique sur l’étiquette

Par Sophie Caillat – Publié le 04 octobre 2010

Pour L’OBS > RUE89

Le milieu de la mode éthique pourrait grossièrement se diviser en deux catégories : ceux qui revendiquent le « commerce équitable » comme un étendard et ceux qui planquent les arguments éthiques au dos de l’étiquette. Enquête.

Doucement, la mode éthique arrive à l’âge de la maturité. Sort-on de la niche pour écolos radicaux ? La « green » Stella McCartney aurait-elle fait des émules dans le haut de gamme ? Ces vêtements sont-ils disponibles dans tout centre commercial classique ? Pas encore.

En mûrissant, les matières ont pris de la valeur : aux côtés d’un coton bio plus doux et plus sophistiqué (tricot, jacquard), on trouve aussi du jersey de soie, du lin, de l’alpaga, du cuir, du coton mélangé à du cashmere… Côté couleurs, l’écru est débordé par les teintures naturelles, ce qui fait redécouvrir le bleu indigo, ou des vieux roses romantiques, nés des écorces d’arbre.

Beaucoup de grandes marques comme celles du groupe de luxe LVMH développent ici un sac de plage en crin de kangourou, là des tissus en chanvre. Mais le responsable des affaires environnementales de LVMH, Alexandre Capelli, nous confie :

« Ce n’est pas toujours facile de montrer à nos créateurs que l’environnement est un moteur et non un frein à la création. »

« Créer des produits à notre image »

Certains poids lourds du secteur ont développé une stratégie d’enseigne en propre. Comme Ekyog, « leader de la mode éthique », avec 46 boutiques en France, qui fait bande à part. Ses fondateurs, Nathalie et Louis-Marie Vautier, racontent que la marque, née en 2003, s’est d’abord « concentrée sur le modèle économique au détriment du style » et a récemment revu son logo, ses boutiques… bref son image de marque :

« Nos clientes ne font pas l’effort d’acheter le produit s’il ne leur plaît pas, nous nous adressons au plus grand nombre, pas à une minorité d’écolos. »

Même discrétion chez Veja, les baskets « fair trade » made in Amazonie. Sébastien Kopp, cofondateur :

« On a créé Veja à notre image en tant que consommateurs. On pense que les gens cherchent un accessoire par plaisir. On ne veut pas harceler les consommateurs avec de la pub, mais on leur fait confiance, une fois que la basket est à eux, pour s’informer sur l’histoire du produit, en rendant l’information disponible. »

Il observe que la mode éthique évolue « lentement, trop lentement » et conteste l’idée d’un « secteur » de la mode éthique, préférant parler d’« initiatives dans le secteur de la mode ».

« Pour porter des valeurs, pas d’autre choix que de faire du beau »

Des initiatives souvent venues de révoltes ou de rencontres. Nathalie Goyette, venue de chez Nina Ricci Japon, a créé Les Racines du Ciel il y a cinq ans, après s’être dit :

« Je n’avais le choix que de créer ma marque si je voulais continuer à faire de la mode avec des valeurs… et en voulant vivre en province ! 

Ses lignes épurées et ses matières sensuelles ont vocation à devenir des intemporels, comme une seconde peau. Elle estime que :

« Pour porter des valeurs, on n’a pas d’autre choix que de faire du beau. Plus on est éthique et plus on se doit de faire du beau. »

Les méthodes de fabrication des vêtements apparaissent sur l’étiquette, pudiquement. « Les clientes ne savent plus ce qu’elles achètent, elles sont coupées de l’histoire du produit », constate Nathalie Goyette.

Même type de parcours chez Martine Ernoux qui, après vingt ans dans la mode, a lancé Satya Pure Elements, des vêtements pour femme et enfant. Gênée par les délocalisations dont elle est témoin dans son pays, la Belgique, elle a voulu :

« créer un rapport de très long terme avec les fournisseurs, leur donner la fierté de faire des vêtements avec moi ».

Cela passe par des tricots et des teintures faits à la main pour des vêtements qui évoquent les créateurs branchés plus que les petits producteurs pauvres du tiers-monde.

Défilés péruviens, mais pas forcément en poncho

A l’Ethical fashion show, cette semaine à Paris, les marques qui font de la mode, de la vraie, avant de faire de l’éthique, étaient minoritaires. Les inévitables tapis en sacs poubelle tressés côtoyaient les sacs en récup de canettes et les baskets en pneu.

Et dans les allées de la toute nouvelle Cité de la mode et du design, les créateurs du Sud sont mis à l’honneur. N’allez pas croire pour autant que la mode péruvienne s’est arrêtée au poncho. (Voir la vidéo)

Ethos, apparue dans les supermarchés bio à destination des amatrices de yoga, a muté après l’embauche d’une styliste, qui a mis de l’élégance dans les vêtements. Pour Marie-Noëlle Céséna, responsable grands comptes, il ne s’agit pas de faire de la mode un argument de conversion à l’écologie, « même si tout le monde est content de participer à un monde plus juste et plus protecteur de l’environnement. »

Sophie Caillat